Les noirs plus doués que les autres?
…poussés vers le sport par des professeurs d’EPS. «Ils pensent que certains enfants, en particulier les jeunes Noirs, font mieux de viser une carrière sportive, parce qu’ils ne réussiront jamais à s’imposer dans la finance ou en médecine par exemple», dit B. Carrington.
Le sociologue évoque les nombreuses recherches effectuées dans ce domaine. L’une des études les plus récentes, menée par Sid Hayes et John Sugden de l’université de Brighton, a porté sur les attitudes de 35 professeurs d’EPS dans une région des Midlands très cosmopolite. Plus de 80% d’entre eux ont estimé que «les élèves noirs ont tendance à être avantagés en sport», particulièrement en athlétisme. Près de 75% de ces professeurs attribuaient la réussite sportive de leurs élèves noirs à des «raisons physiologiques».
Explications de type «biologique»
…Ces fausses «explications biologiques» remontent, selon Ben Carrington, au mouvement eugéniste des années 20 et 30, né en Amérique du Nord et répandu ensuite en Europe. Il s’agissait de créer une hiérarchie des races, où les Noirs étaient tout en bas de l’échelle, et d’affirmer la notion de population supérieure du point de vue génétique. «Ces travaux étaient intrinsèquement racistes et n’ont jamais été scientifiquement validés», précise le sociologue.
Le mouvement eugéniste n’a plus fait parler de lui après l’holocauste. Mais Ben Carrington voit aujourd’hui réémerger, à travers la génétique, certains de ses «arguments biologiques», et les mêmes conceptions idéologiques. Certaines personnes s’imaginent, à tort, que des savants vont bientôt découvrir des différences entre races. «Nous savons aujourd’hui que le corps humain comporte environ 100 000 gènes. Or, moins de 10 d’entre eux ont un quelconque rapport avec la couleur de la peau. Il y a manifestement des différences entre groupes humains», poursuit le sociologue, mais elles sont liées à la géographie. Lorsque les hommes se sont répandus sur la planète, ils se sont adaptés à leur environnement naturel et ont transmis ces modifications à leurs descendants.
«Le gène qui fait courir les Noirs»
Il n’en demeure pas moins que beaucoup continuent de croire qu’on va découvrir demain le gène qui fait courir les Noirs plus vite. «Alors, on va aussi découvrir, parmi la classe ouvrière anglaise blanche, le gène du billard ou du jeu de fléchettes, ironise le sociologue. C’est ridicule. Personne ne prétendra jamais que les Canadiens ont le gène du hockey sur glace. Mais, à chaque fois qu’un Noir l’emporte, on avance des arguments génétiques!». Ces arguments servent souvent à nier ou à minimiser les efforts acharnés et l’intelligence des champions noirs, en particulier dans les médias, estime Ben Carrington. Sans aller jusqu’à suggérer que le racisme serait inhérent aux commentateurs sportifs, le sociologue constate qu’ils ont tendance à traiter les athlètes différemment suivant la couleur de leur peau. Souvent, affirme-t-il, ils soulignent les aptitudes naturelles des athlètes noirs tandis qu’ils mettent en avant la volonté et la stratégie subtile des athlètes blancs.
… «Un Noir doit être loin devant les autres pour que sa sélection soit incontestable, dit Ben Carrington, et cela brouille, dans l’esprit des gens, l’image des performances des Noirs. Le public ne prête jamais attention aux Noirs dont les performances sont moyennes car ils ne sont pas sélectionnés. Donc, les gens disent: “Tu as vu? Il y a sûrement quelque chose de particulier chez les Noirs”.»
Amy Otchet
Courrier de l’UNESCO